Depuis la révolution, les prix de l’immobilier en Tunisie connaissent une hausse ininterrompue, et cela concerne aussi bien l’acquisition de nouveaux logements que les loyers. En effet, les premiers catalyseurs qui ont considérablement alimenté cette hausse exubérante et qui «légitiment» la flambée des prix immobiliers observée, ce sont l’augmentation de la demande, l’augmentation des prix des logements de 9% pour les appartements, de 8,6% pour les maisons, et 7,3% pour les terrains.
Selon Fahmi Chaâbane, président de la Chambre nationale des promoteurs immobiliers tunisiens (Csnpi), «la flambée des prix de l’immobilier actuel est l’une des conséquences de la révolution dans le pays et qui se traduit par l’augmentation des coûts du foncier». Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette hausse des prix, à savoir l’apparition de spéculateurs et d’intrus sur le marché de l’immobilier tunisien, l’augmentation des prix des terrains constructibles due à l’affaiblissement du stock foncier de l’Agence foncière d’habitation (AFH), outre la hausse des prix des matières premières et de la main-d’œuvre, la mise en place de nouveaux impôts, la dépréciation progressive du dinar, les montées consécutives du taux directeur de la Banque centrale de Tunisie, favorisant le renchérissement des prêts tant pour les ménages souhaitant acquérir un logement que pour les promoteurs immobiliers.
Crise du PIP
L’Agence de notation financière PBR Rating indique, dans une analyse sectorielle effectuée en février 2020, que le secteur de la promotion immobilière privée (PIP) fait face à l’une des plus graves crises de son histoire. Depuis 2011, les professionnels assistent à une érosion constante et régulière du volume d’affaires et du nombre de logements construits par le secteur formel de la promotion immobilière, en Tunisie. «Entre 2010 et 2015, la mise sur le marché de logements par les PIP a diminué de moitié, franchissant, à la baisse, la barre des 10.000 logements par an. Un effritement qui s’est poursuivi sur les derniers exercices : les chiffres annoncés par la profession pour 2019 sont inférieurs à 8.000 logements».
Selon la même source, la place des professionnels structurés et agréés sur le marché du logement ne cesse de reculer au profit de l’auto-construction et des opérateurs «informels».
Aux problématiques structurelles d’un secteur en perte de vitesse, se sont ajoutées les fortes perturbations conjoncturelles liées, notamment, au contexte macroéconomique difficile, dont «le renchérissement et la raréfaction du crédit qui ont touché de plein fouet une activité à fort levier financier, aussi bien du côté des promoteurs que du côté des acheteurs.
De même, la pression fiscale accrue sur divers secteurs d’activités, dans un contexte de dérapage du déficit budgétaire, s’est matérialisée pour la promotion immobilière par l’instauration d’une TVA de 13% en 2018, devant passer à 19%, et le renchérissement des droits d’enregistrement.
Par ailleurs, le taux élevé de l’inflation observé ces dernières années a fortement touché le coût de la construction, en l’occurrence le coût des terrains, des matières premières, les charges salariales…
L’analyse montre que le prix de l’immobilier, reflété par l’indice général du secteur, a été multiplié par 4 en 20 ans. Durant cette même période, le prix des terrains à usage d’habitation a été multiplié par trois, l’indice des prix du ciment et des «produits rouges» a été, également, multiplié par trois. «Du côté des engagements bancaires, le secteur des PIP est sur le podium des secteurs les plus engagés de l’économie et les crédits aux particuliers destinés au logement ont été multipliés quasiment par 10 depuis 2002».
Ce qui est rare est cher
La même source précise que la pénurie de terrains constructibles ou aménagés et le caractère spéculatif du bien foncier se sont accentués. «Une situation qui découle en grande partie de la carence de l’offre publique (AFH) et de la lenteur des mécanismes de révision des plans d’urbanisme». Les indicateurs avancés montrent que l’indice des prix des terrains d’habitation a plus que doublé en 11 ans : de 64.8 points en 2008 à 131.3 points en 2019.
Coût de construction excessif
En plus de l’évolution du coût des terrains, plusieurs autres facteurs ont contribué à la forte augmentation du coût de la construction. Du côté des matériaux de construction, ce sont particulièrement le ciment et les produits «rouges» qui ont enregistré les plus fortes hausses des prix : +80% depuis 2010.
A noter que «la forte dévaluation du dinar, durant ces trois dernières années, a également contribué au renchérissement des matériaux de construction importés». Par ailleurs, le secteur des PIP a été fortement perturbé par l’instauration de la TVA sur la vente des logements bâtis par les promoteurs immobiliers, à travers la loi de finances de 2018. Une TVA initialement fixée à 13% pour les ventes réalisées à compter de 2018 et qui devrait passer à 19%, entre 2021 et 2024. Des négociations étant toujours en cours.
«Cette instauration a fortement perturbé le marché en 2018, suite notamment au refus de l’administration de permettre aux promoteurs de récupérer la TVA sur leur ancien stock de biens mis en vente : une situation tranchée par l’ARP en faveur des professionnels du secteur. La profession estime de 5 à 6% le surcoût occasionné par la TVA. Un surcoût qui sera répercuté sur l’acheteur. Une situation qui, selon la Cspi, détourne un nombre significatif d’acheteurs du circuit formel de l’immobilier au secteur informel». Les professionnels estiment également que l’instauration de ce niveau de TVA, dans un contexte de marché déjà difficile, «est contreproductive pour les recettes fiscales de l’Etat. Selon la profession, le taux optimal du TVA se situe à 7%, niveau qui permettrait d’allier une amélioration des recettes fiscales tout en impactant faiblement les prix de vente pour le consommateur».
Evolution du volume des transactions
L’analyse des volumes de transactions immobilières reflète davantage la physionomie réelle du marché : le marché de l’immobilier est actuellement dans une phase de baisse des flux de transaction : 7 trimestres consécutifs de baisse des transactions immobilières en glissement annuel. D’après l’INS, le volume total des transactions renferme les terrains à usage d’habitation, les appartements et les maisons individuelles. «Sur les 105.000 transactions annuelles en moyenne depuis 2011, les opérations sur les terrains à usage d’habitation représentent plus de 75% des échanges». La baisse du nombre de transactions sur le marché a été de -10% en 2018 et s’est poursuivie en 2019 pour atteindre -9% sur les 9 premiers mois de la même année, comparativement à la même période de l’année précédente.